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Diviser les femmes pour mieux régner

Dernière mise à jour : 25 avr.

Diviser les femmes pour mieux régner est une des stratégies les plus anciennes et efficaces du système patriarcal et c’est pourquoi elle est encore utilisée de façon massive de nos jours. Et avec grand succès.



L’hymne des femmes du MLF avait parfaitement su mettre en exergue cette stratégie patriarcale millénaire:


Seules dans notre malheur, les femmes

L’une de l’autre ignorée

Ils nous ont divisées, les femmes

Et de nos sœurs séparées.

Maintenir les femmes divisées est en effet la condition sine qua non du maintien du système patriarcal, et quand on chasse une source de division par la porte, il en revient aussitôt une par la fenêtre.


Ces divisions sont autant de diversions destinées à masquer aux yeux des femmes une réalité dont nous ne devons surtout pas prendre conscience: celle de notre oppression commune par le système Patriarcal au sein duquel nous sommes exploitées en tant que femmes, pour ce que nous, femmes, sommes les seules à posséder: le pouvoir d’enfanter.


De cette exploitation primordiale des femmes par le Patriarcat, qui signifie littéralement le droit du père, auront découlé de nombreuses exploitations annexes (exploitation domestique, sexuelle etc.) qu’ont subies toutes les femmes ainsi appropriées par les hommes à des degrés divers et variés.


Séparer les femmes, nous isoler physiquement ou mentalement les unes des autres, c’est éviter que le dialogue qui pourrait se créer entre nous puisse nous permettre de prendre conscience de notre exploitation commune et en conséquence de nous organiser afin de lutter contre ce système qui nous maintient en état de sujétion; ce qui constituerait bien évidemment un risque majeur pour la survie du système patriarcal.


Une multitude de stratégies sont utilisées pour éviter ce danger mortel lesquelles vont de pratiques ouvertement liberticides comme confiner les femmes à leur foyer en Afghanistan, à mettre les femmes en compétition pour le désir sexuel des hommes en Occident.


Effacer de nos mémoires de femmes l’histoire des luttes pour notre émancipation, de sorte qu’aucune filiation militante, symbolique et intellectuelle ne puisse se nouer entre militantes féministes et femmes de la génération suivante afin que chaque nouvelle génération de femmes se retrouve orpheline et condamnée à refaire tel Sisyphe, le même chemin en repartant de la case départ pour réinventer la roue, relève de la même dynamique.



Image par Xavier Turpain de Pixabay
Image par Xavier Turpain de Pixabay

Le féminisme n’est pas épargné par ces tentatives de divisions et chaque vague de féminisme a été traversée par des lignes de fracture importantes visant à en saper la force et l’efficacité.


L’exclusion de certaines catégories de femmes du champ de la lutte féministe car elles étaient perçues non seulement comme non-opprimées mais appartenant au camp de nos oppresseurs, a toujours existé.


Il en est toujours ainsi quand la lutte féministe n’est pas souveraine, mais inféodée à une autre lutte principale, jugée plus capitale et prioritaire, dont elle n’est que l’accessoire.


Christine Delphy, n’a pas intitulé pour rien son ouvrage qui désigne le Patriarcat, en lieu et place du Capitalisme, comme la source fondamentale de l’oppression des femmes “L’ennemi principal”.


Ainsi, hier, l’épouvantail c’était la Bourgeoise, aujourd’hui c’est la Blanche.


Et pire que tout, la féministe bourgeoise blanche.


La même rhétorique que développait Delphy pour la “Bourgeoise” peut s’appliquer à son avatar moderne, la “Blanche” et à l’instrumentalisation misogyne du discours anti-raciste pour nier la spécificité de l’oppression sexiste et de l’exploitation patriarcale de toutes les femmes.



Une série de tweets où apparaît cette problématique de l’articulation entre la lutte féministe et la lutte anti-raciste, et des fractures qui en résultent, me donne l’occasion d’apporter un éclairage sur ce sujet spécifique.


Voyons voir de quoi il en retourne…


"Elle et toutes les femmes racisées victimes d’hommes racisés font partie des raisons pour lesquelles je ne mettrai jamais l’antiracisme au dessus des oppressions de genre. Jamais. On exige des femmes racisées une solidarité communautaire au profit d’hommes qui les exploitent et les oppressent dès qu’ils peuvent."


L.K nous explique ici les raisons pour lesquelles elle a fait le choix de prioriser le combat féministe par rapport à la lutte anti-raciste: les luttes anti-racistes ont selon elle des implications qui entrent directement en contradiction avec les exigences de la lutte féministe.


A commencer par le fait de demander aux femmes d’être solidaires et d’aider les hommes de leur “communauté” à leur détriment.


Elle a parfaitement raison et le mouvement anti-raciste est loin d’être le seul à posséder ce travers.


Au sein du mouvement ouvrier, il s’est passé exactement la même chose et il était exigé des femmes qu’elles s’associent aux revendications des hommes et leur apportent leur soutien, quand le traitement des questions spécifiques qui les concernaient était reporté aux calendes grecques, aux lendemains d’un hypothétique grand soir.


Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en la matière les femmes ont plutôt eu droit à des lendemains qui déchantent…


Ces mêmes hommes, leurs soi-disant “frères de lutte” dont elles étaient censées être solidaires s’avérant être en réalité leurs plus immédiats oppresseurs.




"Ne pas se méfier d’eux, les considérer comme des alliés automatiques parce qu’on a le racisme en commun."


Un mouvement qui demande aux femmes d’aller contre leur instinct naturel de protection, contre leur méfiance plus que justifiée par la prévalence des violences sexistes et sexuelles auxquelles elles sont exposées, de baisser la garde devant les hommes et qui les enjoint à construire un faux sentiment de solidarité avec cette autre moitié de la population qui les opprime, doit immédiatement être considéré avec la plus haute méfiance.


C’est une rhétorique purement manipulatoire.


"Militer pour eux contres les violences qu’ils subissent et ce malgré les violences qu’ils nous font subir, sans avoir même les 1/10ème de réciproque."


Les femmes sont perçues par les hommes comme étant taillables et corvéables à merci.


Il n’a jamais été question de réciprocité, mais d’abnégation et de sens du sacrifice pour le bien des hommes et de la cause.


"Ne pas dénoncer leurs agissements publiquement parce que les blancs lisent et regardent. Ne pas porter plainte ou les envoyer en prison quand ils agressent et traumatisent parce que c’est les trahir, trahir la race et trahir la cause acab/anti carcérale — le CULOT! Le chantage de merde. Ça sera toujours sans moi."


Oui, c’est exactement ce que Samira Bellil explique sans sa vidéo: que dans son quartier, le fait qu’elle ait parlé, mis fin à l’omerta, dénoncé ce qu’elle avait vécu, osé porter plainte pour obtenir justice, a été vécu comme une trahison qui lui a valu une mise au ban de tout son quartier.


Et L.K a raison… C’est du chantage. Encore une fois de la manipulation.


Une manipulation devenue extrêmement courante dans les milieux militants anti-racistes/intersectionnels qui constitue une double peine d’une violence inouïe pour les femmes sommées encore une fois d’être les paillassons d’une cause plus grande et plus noble que la leur, qui justifie qu’elles passent outre des violences inadmissibles.


Une mystification patriarcale particulièrement pernicieuse en ce qu’elle atteint les femmes dans un lieu même où elles viennent pour lutter contre des injustices et des oppressions dont elles sont victimes.


Commentons maintenant une partie des réponses à cette publication de L.K qui sont particulièrement édifiantes en ce qu’elles révèlent l’incompréhension profonde du féminisme tant dans sa nature que dans son objectif et illustrent de nombreux travers que l’on retrouve dans la manière de communiquer sur les réseaux sociaux.



Lucrèce: "Entièrement d’accord, je crois que la solidarité entre femmes, la sororité, est une cause transcendante. Les hommes de toutes origines, oppresseurs ou opprimés, se sont curieusement toujours bien entendus au sujet de l’exploitation des femmes. Là-dessus, ils sont d’accord."


Roi d’hommes, Laetitia Ky
Roi d’hommes, Laetitia Ky

Effectivement, c’est le moins que l’on puisse dire. Ce sont les hommes qui ont créé le système patriarcal à leur bénéfice et ces derniers ont, à l’inverse des femmes, cultivé leur conscience de classe.


Ils ont tous, au-delà de leurs particularités et différences, la conscience à un certain niveau, de partager les mêmes intérêts et de la nécessité de perpétuer ce système d’exploitation des femmes dont ils bénéficient tous à des degrés divers et variés.


C’est la différence fondamentale avec les femmes qui vivent très largement dans l’ignorance de leur propre oppression qu’elles ont complètement intégrée et naturalisée.


Kimpa: "Non c’est faux, la sororité ne transcende pas. Le racisme des femmes blanches existe bien, et est tout autant virulent pour les femmes noires que la misogynie."


Il y a là un important problème de compréhension de ce qu’est la sororité.


La sororité c’est une arme politique de résistance et de lutte contre notre oppression que nous devons construire.


La sororité n’est donc pas du tout un état de fait existant, puisque le système patriarcal, comme nous l’avons vu plus haut, qui utilise justement la division des femmes comme un instrument pour nous maintenir sous contrôle, n’est pas un environnement propice à la création de liens sorores.


La sororité, c’est une valeur, un idéal et un outil politique.


Exactement comme la fraternité de la devise française Liberté, Égalité, Fraternité (fraternité qui s’est construite sur l’exclusion des femmes, mais c’est un autre sujet).


Cette fraternité, exaltation des liens masculins, écrite sur les frontispices de nos grands monuments publics signifiait-elle que tous les hommes à cet instant T étaient logés à la même enseigne, égaux et que les oppressions classistes ou esclavagistes n’existaient pas ?


Bien-sûr que non…


A t-on vu des hommes lutter contre le principe même de fraternité sous le prétexte que certaines catégories d’hommes dominaient d’autres catégories hommes ? Non, bien-sûr que non…


Les hommes faisant partie des catégories d’hommes opprimés ont simplement lutté pour rendre pleine et effective cette fraternité à leur égard.


Ainsi, quand Lucrèce exprimait que “La sororité est une cause transcendante” il fallait donc comprendre que la sororité doit devenir pour les femmes une cause transcendante.


Et elle a parfaitement raison. C’est la perspective féministe, tout simplement.


Oui, la sororité devrait transcender tous nos clivages et être notre arme dans le cadre de la lutte féministe.


Lucrèce: "Entre des attitudes isolées de “femmes blanches”, et une domination perdurant depuis des millénaires, il faut savoir regarder où se trouve la priorité.J’en veux pour preuve le mouvement afro-américain pour les droits civiques : ses penseurs et militants, Malcolm X et Martin Luther King, étaient terriblement misogynes.Une lutte anti-raciste historique ne remet donc pas en question la misogynie, et les hommes se retrouvent bel et bien dans cette domination qu’ils ne remettent même pas en question."


Il en va ainsi de tous les mouvements créés et dirigés par les hommes…


Dans ce monde créé par et pour les hommes, les luttes pour les droits civiques sont avant tout des luttes où des hommes cherchent à réduire les inégalités qu’ils subissent vis-à-vis d’autres hommes.


Il s‘agit donc d’hommes qui règlent leurs comptes entre eux et les femmes qui ne jouent pas dans la même cour sont largement hors de l’horizon leurs préoccupations, sauf quand il s’agit de nous utiliser pour parvenir à leurs fins.


Kimpa: "Du coup t’es en train de dire à une femme noire, qui vit sans cesse le racisme et la misogynie où elle devrait voir sa priorité et quels sont ses intérêts ?"


Voilà bien une réflexion typique de la communication sur les réseaux sociaux…


J’aimerais bien qu’on m’explique où donc qui que ce soit a prescrit à cette dame quelle devrait être sa priorité et ses intérêts…


Déjà car c’est elle qui a fait irruption dans cette conversation pour porter la contradiction et ensuite car lui répondre en la contredisant à son tour, ne signifie en aucune manière que l’on cherche à lui enjoindre quoi que ce soit.


Passons.


Kimpa: "Moi j’en veux aux femmes blanches d’avoir été la démographie juste après les hommes blancs à avoir voté pour Trump;"


En vouloir aux femmes “blanches” d’avoir voté pour Trump n’a aucun sens à de nombreux titres mais c’est principalement absurde car une telle posture revient à nier l’existence du système d’oppression patriarcal.


C’est aussi pertinent que de se demander à propos des femmes victimes de violences conjugales “ Mais pourquoi elle n’est pas partie !?”


C’est aussi pertinent que d’en vouloir aux, très nombreuses, femmes qui ont de leur temps milité contre le droit de vote des femmes et contre le droit à l’avortement.


Cela ne fait que trahir une profonde méconnaissance du fonctionnement et des effets de l’oppression patriarcale.


Par ailleurs, soi dit en passant, on parle quand même d’un pays où de nombreux états ne disposent même pas d’isoloirs dignes de ce nom, sans compter les modalités de vote par correspondance et où ils ont trouvé nécessaire de rappeler aux femmes qu’elles étaient en droit de ne pas voter comme leur mari… En 2024.


Passons outre le fait que les USA comptent les blancs et les hispaniques de manière séparée, ce qui est assez absurde, étant donné que la grande majorité des latino-américains sont… des blancs.


Passons.


Spot de campagne de Kamala Harris


Le système Patriarcal est l’oppression première sur laquelle se base tous les autres systèmes d’oppression.


Dont le racisme, dont le capitalisme.


Le féminisme est fondamentalement anti-raciste car il entend défendre TOUTES les femmes qui partagent cette oppression commune.


Seulement, le féminisme priorise les femmes et ne mettra jamais les intérêts des hommes avant ceux des femmes.


C’est une lutte politique et nous défendons un intérêt de classe.



Donc l’anti-racisme oui, mais par et pour les femmes à travers le prisme féministe, dont il est le corolaire indispensable puisque nous luttons pour TOUTES les femmes.


Mais certainement pas pour défendre et protéger des hommes (encore plus quand c’est au détriment des femmes, comme je l’ai vu trop souvent): qu’ils se débrouillent!


Car si être féministe implique d’être anti-raciste et anti-capitaliste, l’inverse n’est absolument pas vrai et tant l’anti-racisme que l’anti-capitalisme se sont toujours parfaitement accommodés de la misogynie et de l’oppression des femmes avec laquelle ils sont parfaitement compatibles : ce sont des luttes où des hommes s’affrontent pour avoir les mêmes privilèges que d’autres hommes, ce qui inclut des privilèges sur les femmes.


Il faut bien intégrer cette évidence: que des femmes agissent contre leurs intérêts, c’est la base en système patriarcal.


Et ces femmes qui ont voté pour Trump, feront les frais comme toutes les autres femmes, des politiques de son gouvernement.


Et ce seront les hommes les grands gagnants, comme toujours.


Ces femmes, ou leurs filles, ce sont elles qui mourront peut-être en couche faute d’avoir pu être prises en charge après une fausse couche.


Ce sont elles qui risqueront d’être violées ou victimes de féminicides.


Ce sont elles qui perdront peut-être un jour le droit d’accéder à certaines professions, à certaines études ou aux urnes.


Aucun homme ne sera mis en danger de viol ou de mort par cette élection, ou en position de perdre ses droits civils ou politiques pour la simple raison d’être un homme.


Si ces femmes se tirent au final une balle dans le pied et se font du mal à elles-mêmes, les hommes, eux, agissent dans un sens parfaitement conforme à leurs intérêts.


C’est la différence fondamentale qui existe entre les deux.


Ces femmes restent plus proches de nous que n’importe quel homme avec qui nous sommes susceptibles de partager des points communs ou des intérêts sectoriels, car nous partageons la même condition fondamentale.


Ce n’est absolument pas le moment de se diviser et d’afficher des dissensions qui n’ont pour seul intérêt que de nous faire perdre du temps et de faire plaisir à nos amis masculinistes qui s’en frottent les mains.


Notre ennemi c’est le système Patriarcal, jamais les femmes qui en font les frais, même si elles agissent contre leurs intérêts et les nôtres en y participant.



"Encore une fois c’est extrêmement révélateur de voir une femme blanche me dire ce que je devrais prioriser et sur quoi se base mes oppressions."


Encore une fois, c’est très révélateur que cette personne perçoive chaque expression d’une opinion contraire, comme une injonction lui étant personnellement adressée; et qu’en accuser ainsi les autres lui paraisse être, à tort, un argument...


N’étant pas une femme blanche mais une métisse des Antilles, cette partie de sa diatribe m’a fait doucement rigoler. Hélas pour elle, en tant que métisse née dans une société post esclavagiste, la carte de la culpabilité coloniale n’a pas vraiment de chances de fonctionner avec moi.


Hier, on ostracisait certaines femmes sous prétexte qu’elles étaient des bourgeoises, désormais c’est car elles sont des blanches.


Époques différentes, mots différents, mais mêmes dynamiques d’exclusion et d’auto-sabotage. Même misogynie intériorisée, même anti-féminisme.


"Le féminisme n’est pas intersectionnel « fondamentalement » puisque justement; les femmes noires étaient exclues des premiers mouvements féministes, dont je le rappelle pour certains : le but était de conserver des esclaves noires. Parce que le droit à l’esclavagisme c’est pour tous.. les hommes et les femmes (blanches)."


Outre l’utilisation approximative du point virgule, je suis encore une fois fascinée par cette capacité qu’ont de trop nombreuses personnes de faire des inférences et de mettre dans la bouche des autres, des mots qu’ils n’ont pas dit.


A aucun moment je n’ai utilisé dans ma réponse le mot intersectionnel…


Je dis que le féminisme est fondamentalement anti-raciste comme il est fondamentalement anti-capitaliste.


Tout simplement car l’objectif du féminisme est l’abolition du système Patriarcal et donc de tous les systèmes d’exploitation qui en découlent, comme le capitalisme ou le racisme.


Sans Patriarcat, aucun des deux systèmes que sont le capitalisme et le racisme ne peuvent prospérer. L’inverse n’est pas vrai.


Rappelons que ce sont des hommes blancs qui ont inventé le racisme à une époque où les femmes n’avaient strictement aucun droits, et ce afin de pouvoir disposer d’une main d’œuvre à bas coût qui résiste aux difficiles conditions de travail sous les latitudes tropicales.


Mettre sur le dos des femmes les actions des hommes, comme si les femmes du 17ème siècle qui évoluaient dans un système entièrement corseté par les hommes où elles étaient considérées comme des mineures à vie, est un grand classique anti-féministe et masculiniste.


Ensuite, oser dire que le but des premiers mouvements féministes était de conserver des esclaves noirs et qu’ils excluaient les femmes noires, est franchement risible tant cela témoigne d’une méconnaissance complète de l’histoire des mouvements féministes dont l’une des caractéristiques est d’avoir massivement soutenu le mouvement anti-esclavagiste; esclaves à la condition desquels ces premières féministes assimilaient la leur par effet miroir.


Olympe de Gouges doit se retourner dans sa tombe, tout comme les nombreuses autres femmes de phénotypes divers et variés qui se sont engagées dans le combat anti-esclavagiste et se reconnaissaient comme féministes.



La circonstance que des femmes aient pu posséder des esclaves ne change rien à l’affaire.


Oui, des femmes ont pu se retrouver propriétaires d’esclaves notamment par héritage ou veuvage, ce sont des épiphénomènes qui ne font pas système et ce ne sont pas les femmes qui ont construit ce système esclavagiste ni n’en étaient les bénéficiaires, sauf par ricochet ès qualité de femmes et de filles de propriétaires de plantations.


De même que l’écrasante majorité des Bourgeois étaient des hommes, la majorité des propriétaires de plantations étaient des hommes, tout simplement car ce système particulier a été conçu pour leur bénéficier, tout comme le système Patriarcal en général a été conçu pour permettre aux hommes d’accaparer le pouvoir économique, sans oublier le pouvoir politique et spirituel ; et c’est toujours encore largement le cas aujourd’hui.


Par ailleurs, des noirs ont également été propriétaires d’esclaves de la même manière que les noirs d’Afrique étaient partie prenante au commerce triangulaire et à la traite esclavagiste. Que sommes nous supposées en tirer comme conséquence ? Qu’en réalité les noirs ont bénéficié du système esclavagiste ? Non, bien-sûr que non.


On est dans la même dynamique que quand certains cherchent à minimiser les réalités du racisme subi par les noirs en créant un faux parallèle avec un soi-disant “racisme anti-blancs” à grand renfort d’expériences anecdotiques et de faits divers non significatifs.


On est aussi dans la même dynamique que quand des masculinistes cherchent à occulter la spécificité des violences subies par les femmes parce que femmes en nous expliquant que les femmes violent aussi et qu’il existe des mères maquerelles qui prostituent des femmes, donc circulez il n’y a rien à voir.


Ok, très bien, mais le fait est que les clients-prostitueurs et proxénètes sont dans l’écrasante majorité des hommes et les prostituées des femmes et des filles et que ce système d’exploitation sexiste a été conçu par et au bénéfice exclusif des hommes afin de leur garantir d’avoir des femmes disponibles sous la main afin de les satisfaire dès que l’envie de sexe les prend.


Diversion et occultation des violences sexistes, encore et toujours.


Le fait est que femmes noires et femmes blanches, au-delà de nettes et évidentes différences de statut basées sur leur couleur de peau, partageaient néanmoins la même oppression patriarcale bien qu’elle s’exprime de manière très différenciée.


Toutes subissaient les viols du maître dont elles étaient la propriété, l’appropriation de leurs enfants (promis à des destins bien différents, mais là n’est pas le sujet), les violences physiques (le fouet et les fers pour certaines, les poings pour les autres), les meurtres (punition des esclaves et féminicide conjugal) etc.


Si leur exploitation et leur oppression différait en degré et en modalité à tel point que leur ressemblance puisse parfois échapper à la majorité des observateurs, elle était à sa racine — et c’est dans ce sens que notre féminisme est Radical car il va à la racine du système Patriarcal — exactement la même par sa nature.


Noues Féministes, savons qu’en réalité noues sommes toutes dans le même bateau patriarcal…


La servante écarlate et ses différentes catégories de femmes hiérarchisées, une illustration saisissante du diviser pour mieux régner et des différentes modalités de l’exploitation des femmes.
La servante écarlate et ses différentes catégories de femmes hiérarchisées, une illustration saisissante du diviser pour mieux régner et des différentes modalités de l’exploitation des femmes.

Si nous pouvons partager avec d’autres hommes certaines oppressions de race ou de classe, il n’en demeure pas moins qu’au sein de ces luttes les besoins spécifiques des femmes resteront toujours dans l’angle mort, et qu’en leur sein même l’oppression et l’exploitation patriarcale des femmes s’exprimera à plein régime.


L’abolition de l’esclavage ou la lutte anti-raciste est une cause d’ailleurs où les femmes et spécifiquement les femmes noires et afro-descendantes ont été en première ligne comme combattantes avec des figures mythiques telles que la Mulâtresse Solitude en Guadeloupe ou Lumina Sophie dite Surprise à la Martinique, sans pour autant bénéficier du statut des hommes après l’abolition, vu qu’elles n’y ont gagné aucun droit politique, les femmes en général en étant privées en tant que catégorie.




Autant vous dire que l’aide que les femmes leur ont apportée afin qu’ils puissent bénéficier des mêmes droits et du même statut que les autres hommes ne les a pas beaucoup émus, ni ne les as sensibilisés aux oppressions subies par leurs sœurs de lutte en tant que femmes…


Car après l’abolition de l’esclavage, si les hommes noirs ont pu bénéficier de la plénitude des droits dont bénéficiaient les autres hommes, les femmes noires se sont retrouvées dans la même zone de non-droit dans laquelle étaient confinées leurs homologues à la peau blanche: un statut de mineure à vie et la même absence de droits civils et politiques que ces dernières.


Les hommes noirs ont accédé au droit de vote en 1848, date des abolitions, et la même année le tout premier homme noir, né esclave, a été élu député de la Martinique.


Pour accéder au même droit, les femmes, noires comme blanches comme de tout autre phénotype, devront attendre 1944, soit un siècle de plus.



Victor Mazulime est le 1er homme noir élu comme député français en août 1848 à la Martinique
Victor Mazulime est le 1er homme noir élu comme député français en août 1848 à la Martinique

Alors nous sommes ravies pour tous ces Messieurs qui ont pu accéder à leurs droits légitimes d'êtres humains, mais ça nous fait une belle jambe à noues les femmes !


Force est de constater que l'abolition de l’esclavage a débouché sur des réalités bien différentes pour les hommes et les femmes en termes de droits et de mode de vie - tout comme la Révolution française en général. Voir supra.


Un aspect qui est bien évidemment complètement occulté quand on évoque le sujet des abolitions, qui n’est au final abordé, comme d’habitude, que du strict point de vue masculin.


Apparemment, le fait que le sort de la moitié de cette cohorte d’esclaves ait consisté à n’avoir été libérée de l’oppression liée à sa couleur de peau que pour tomber aussitôt dans les affres d’un statut de seconde zone et d’une oppression liée à son sexe, n’est pas quelque chose qui mérite d’être relevé ni mis en perspective…


Ainsi, l’investissement des hommes dans les luttes pour l’abolition de l’esclavage a donc permis aux hommes noirs de bénéficier des mêmes droits et privilèges que les hommes blancs, y compris donc sur les femmes, et pour les femmes à rejoindre les autres femmes dans le statut de sous-humaine dans lequel étaient confinées.


Oui, les hommes noirs, discriminés par rapport aux hommes blancs étaient certes noirs, mais ils étaient avant tout… des hommes.


Oui, les femmes blanches qui étaient favorisées par rapport aux femmes noires, étaient certes blanches, mais elles étaient avant tout… des femmes.


Chacun dans sa case et la hiérarchie est bien gardée.


A toute une chacune de tirer les enseignements qui s’imposent de ces éclairages historiques, mais le féminisme a d’ores et déjà tranché.


"Encore une fois, vous n’avez pas à dire aux femmes Noires où se trouve leurs luttes. Dans VOS luttes vous nous oppressez. Et même là, c’est une forme d’oppression : vous vous permettez de me donner des ordres sur comment je devrais gérer mon oppression et qui est mon oppresseur. Avec un ton paternaliste."


Penser que l’on cherche à lui imposer quelque chose étant visiblement une source d’angoisse existentielle particulièrement prégnante chez cette dame, on va donc essayer de la rassurer tout de suite: absolument personne ne vous empêche de prioriser la lutte anti-raciste et vous pouvez continuer de gérer votre vie exactement comme vous le désirez, et de mener vos combats comme vous l’entendez, ça ne regarde que vous et personne ne viendra rien vous imposer.


De la même manière, personne ne vient imposer aux femmes noires quoi que ce soit…


Au cas où cette dame l’aurait oublié, le post dans l’espace commentaire duquel elle intervient est celui d’une femme noire qui explique les raisons pour lesquelles elle priorise la lutte féministe sur la lutte anti-raciste.


A t-elle fait le choix d’invectiver la postante par “blanche” interposée plutôt que de la confronter directement car, la carte joker “tais-toi femme blanche” ne pouvait pas être utilisée avec cette dernière ?


A moins qu’elle ne considère qu’une blanche n’a pas le droit d’abonder dans le sens d’une noire et de discuter avec elle de sujets féministes ?


J’aimerais aussi beaucoup savoir en quoi consistent les fameuses “VOS luttes” auxquelles elle fait référence et qui seraient pour elle source d’oppression… Vraiment.


Car je voudrais bien comprendre en quoi et pour quoi les luttes féministes oppressent les femmes noires.


Non, personne n’a cherché à imposer aux femmes noires quoi que ce soit, ni la postante, elle-même noire, ni personne d’autre dans son sillage.


Nous discutons et nous exprimons sur ce qui nous semble devoir être la priorité pour toutes les femmes: la lutte féministe.


C’est d’ailleurs un sujet qui dépasse largement la question de l’anti-racisme et concerne strictement toutes les causes où les femmes s’investissent et dans lesquelles elles finissent invariablement par se retrouver les dindons de la farce, après avoir perdu les ressources précieuses et non renouvelables que sont leur temps et leur énergie.


C’est pourquoi la publication de la postante a autant dérangé… Car le Patriarcat cherche par tous les moyens à détourner l’attention des femmes de leur oppression et des combats qu’elles devraient mener pour en arriver à bout.


Systématiquement.


Une sœur féministe résume ce paradigme à la perfection:


La majorité des femmes engagées dans le militantisme, y compris celles qui se revendiquent féministes, tendent à diluer leurs revendications dans des causes plus vastes, prétendument plus importantes, comme par exemple l’idée que "le féminisme doit aussi servir les hommes".


Ce phénomène n’est pas nouveau : nous l’avons déjà observé dans les mouvements chrétiens pseudo-égalitaires, comme l’a démontré Gerda Lerner dans The Creation of a Feminist Consciousness et dans le marxisme: "la libération des femmes suivra naturellement la socialisation des moyens de production", "femmes, rejoignez notre combat pour cette noble cause et votre émancipation suivra", "votre salut ne viendra qu’avec le triomphe de notre idéologie".


Cette dynamique ne fait que conforter la domination masculine.


On le constate notamment chez les militantes de la cause animale et végane, ou chez celles qui s’investissent dans des luttes jugées "primordiales" et "plus nobles", que la "simple" condition féminine : elles finissent par s’oublier elles-mêmes. Il y a toujours une priorité qui nous précède : les femmes sont cantonnées aux rôles de "gardiennes", d’"altruistes", devant porter la responsabilité du monde entier sur leurs épaules et considérer le bien-être de chaque être vivant avant le leur, même celui des rivières, des minéraux et de la stabilité du noyau terrestre.


Si j’étais un homme, cette situation me conviendrait parfaitement.


Ces "grandes causes" détournent les femmes de leur propre émancipation et maintiennent intact le privilège patriarcal.


Dans ces mouvements mixtes, les schémas hétéronormatifs se reproduisent invariablement : les hommes monopolisent la parole et les idées, paradent en beaux rhéteurs, manipulent les femmes… Le constat est accablant.


Les femmes se retrouvent contraintes de gérer ces comportements, dépensant une énergie considérable pour composer avec les hommes. Sans exception.


C’est ainsi que le féminisme s’autodétruit.


Une féministe authentique est une femme qui place les droits des femmes au-dessus de toute autre considération.


Ces droits ne peuvent être le simple sous-produit d’une autre lutte.


Telle est ma position féministe radicale.


Audrey Aard, militante féministe et co-autrice du livre Né(e)s dans la mauvaise société.


Autant dire que je souscris à 100% à ce constat.


Oui… On nous somme d’être des mères-la-vertu qui devons faire passer les intérêts de tout le monde avant les nôtres.


De bonnes poires.


C’est tellement ancré dans les mentalités qu’il ne se passait pas une semaine sur X-Twitter quand j’y étais encore active, sans que l’on vienne m’expliquer qu’en tant que féministe, que je devais plutôt m’occuper de ci ou de ça.


Alors en fait, non. Je ne vais m’occuper ni de ci ni de ça, mais juste des femmes.

Et vous savez quoi ?


Il n’y a rien qui énerve plus nos amis les mascus que quand je leur rappelle la définition du féminisme et leur explique que je ne m’occupe que de la défense des intérêts des femmes…


Les femmes, toutes les femmes, rien que les femmes.


Un jour, un spécimen m’a même envoyé une capture d’écran de la définition Google du féminisme (!) pour m’expliquer que oui oui, en tant que féministe, il était de mon devoir de prendre en charge les problèmes des hommes, car le féminisme était un mouvement pour l’égalité…


Ben voyons… Et puis quoi encore ?


Quand ils se retrouvent confrontés à des femmes qui se priorisent, elles, les intérêts des femmes et ne choisissent de consacrer leur temps et leur énergie qu’à elles-mêmes, ils en deviennent livides; et cela les rend très en colère.


Des femmes centrées sur elles-mêmes qui ne dépensent pas une once de temps et d’énergie au service des “grandes causes” et autres “sujets prioritaires” décrétés par ces Messieurs, voici les Boss finales des mascus et autres patriarches. Leur Némésis.


Oui, greffer systématiquement d’autres causes au féminisme est une arnaque patriarcale qui vise à détourner l’attention des femmes de la seule vraie cause que nous nous devons de défendre: la nôtre, celle des femmes.


Qu’on se le dise, la fameuse “convergence des luttes” qui s’inscrit parfaitement dans cette logique n’aura été qu’une arnaque de plus.


J’ai lu il y a quelques temps le livre Les leurres post-modernes contre la réalité sociale des femmes de Vanina.


L’autrice y délivre une passionnante analyse de ce phénomène de phagocytage du féminisme par d’autre causes qui finissent invariablement par la faire passer au dernier plan (anti-racisme, transactivisme etc.) et elle conclut sur le fait qu’il faut se reconcentrer sur la vraie lutte: soit l’anti-capitalisme et le féminisme.


C’est ironique qu’elle reproduise à un certain niveau ce qu’elle venait de reprocher aux autres.


Ou en tout cas ne se rende pas compte que le même danger de détournement des femmes de leur propre lutte se cache autant dans les interstices d’une lutte féministe anti-capitaliste, que dans une lutte féministe anti-raciste ou animaliste ou éco-féministe.

En même temps, il est vrai que chacun voit toujours midi à sa porte…


Car qu’on m’explique en quoi les femmes du village UMOJA et plus généralement toutes les femmes venant de sociétés traditionnelles sont concernées par la lutte anti-capitaliste (sauf bien évidemment à un niveau macro-économique sur lequel elles n’ont de toute manière aucune prise)…




Le Patriarcat existe depuis bien plus longtemps que le capitalisme qui ne peut exister indépendamment de lui.


Or l’inverse n’est pas vrai: le système Patriarcal peut tout à fait prospérer dans une société non capitaliste.


Quelle devrait donc être notre priorité en tant que femmes ?


Pour moi, c’est le féminisme et l’abolition du système patriarcal: c’est la seule lutte qui porte en elle le potentiel subversif et révolutionnaire nécessaire à un réel changement de paradigme.


Car l’histoire nous montre avec une régularité de métronome que les femmes n’ont jamais bénéficié des luttes X ou Y dans lesquelles elles se sont investies avec les hommes et qu’elles ont toujours fini par être le dindon de la farce, comme on l’a vu plus haut.


Des que l’on veut raccrocher quelque chose à la lutte féministe, c’est donc pour moi suspect et tous les voyants passent au rouge.


Tout féminisme adjectivé est pour moi un signal d’alarme immédiat.


"Non, 0 sororité avec vous."


Cette phrase résume à elle seule les effets de la colonisation mentale patriarcale subie par les femmes et la toute puissance de ce système d’exploitation millénaire, système d’oppression premier, le plus efficace et le plus redoutable au monde.


Par ailleurs, cette phrase témoigne aussi, une fois de plus, d’une incompréhension profonde du concept de sororité.



Aux mots dénués de dimension politique ou de potentiel révolutionnaire d’une Kimberle Krenshaw, je préfère ceux, puissants, fédérateurs et libérateurs, d’une autre femme noire, sœur féministe radicale :

Je ne suis pas libre tant qu’une femme reste prisonnière, même si ses chaînes sont très différentes des miennes. Aude Lorde

Oui, même si ses chaînes sont très différentes des miennes.


Et même si elles ressemblent pour moi à de l’or 24 carats.


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